Le tweet-photo sur Daech : tout le monde a tort

 Réflexions sur une embrouille tapageuse :

Sur bouffée dramatique de M. Cazeneuve, voilà donc le parquet poursuivant Mme Le Pen en vertu de l'article 227-24 du code pénal :

 

Article 227-24

Modifié par LOI n°2014-1353 du 13 novembre 2014 - art. 7

Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

 

On voudrait savoir en quoi le tweet de Mme Le Pen « incite au terrorisme ». Il visait explicitement à l'inverse : protester contre une comparaison, imputée à Jean-Jacques Bourdin, entre le FN et le groupe Etat islamique. On peut discuter le point de savoir si Bourdin a ou non fait cette comparaison* ; on peut aussi estimer que Mme le Pen a réagi avec excès en copiant-collant ces photos d'horreurs ; son avocat affirmera sans doute qu'elles étaient disponibles sur le web depuis des mois sans que le parquet s'en offusque. Mme Le Pen a néanmoins retiré la photo identifiable (celle de James Foley décapité), sur la demande de la famille de celui-ci.

Ce qui me frappe n'est pas cet aspect des choses : c'est la posture de M. Cazeneuve apparaissant à la télévision pour nous déclarer, avec avec une emphase absurde, que cette affaire était d'une gravité exceptionnelle  et que la République allait sévir ; il n'aurait pas parlé autrement si le tweet avait été une apologie des massacres. Le décalage entre sa déclaration et le fait incriminé a choqué l'opinion publique, qui juge les bourreaux de Daech plus coupables que Mme Le Pen... Mais l'animatrice du 6-9 de France Info a mis pendant trois heures le message de M. Cazeneuve en tête des flashes d'actualité ; comme si le fait que Mme Le Pen  – furieuse contre M. Bourdin  –  ait rediffusé des photos horribles (ce qui lui attirera peut-être une amende), passait avant les vrais sujets d'actualité : par exemple la découverte du cafouillage qui empêcha d'arrêter Abdeslam, ou les propositions de l'UE sur le terrorisme et l'immigration, ou le nouveau massacre de Kurdes par l'armée d'Erdogan... Ou même, sur un autre registre : avant le bras de fer Cameron-UE, nouveau test de réalités pour une Europe des faux-semblants.

 

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* Ayant visionné la séquence, voici mon sentiment : Bourdin a voulu résumer l'analyse nuancée de Gilles Kepel par une formule elliptique et assez brutale, qui a pu donner l'impression d'un amalgame entre le FN et Daech. Ce n'était pas l'intention du journaliste, comme il l'a expliqué ce matin en présentant des excuses très appuyées aux électeurs lepénistes. Kepel, pour sa part, n'avait voulu que confronter deux formes de « crispation identitaire », au Proche-Orient musulman et en Europe  (notamment en France  avec  l'exemple du FN). Une confrontation n'est pas un amalgame. L'analyse de Kepel relevait de la sociologie des idées, non de la polémique. Tout le monde a donc tort dans cette embrouille : Bourdin par sa formule brutale, Marine Le Pen par son tweet irréfléchi, et Cazeneuve par son amphigouri ubuesque. Quant au parquet...